Après plus de 10 années de pratique, j’ai l’envie de partager à la fois quelques enseignements que j’ai retenus du Mei Hua Zhuang et aussi la vision que je porte sur certains points. J’ai mis longtemps à passer ce pas de partager la manière dont je vis le Mei Hua Zhuang, bloqué par la peur de voir comment cela pouvait être reçu. Aujourd’hui, je sais que le Mei Huan Zhuang s’enrichit de ses membres et que chacun d’entre eux a un enseignement à apporter. Chaque membre d’une famille doit se sentir libre de parler et de partager. Sans cette confiance, cette liberté ni cette conscience que chaque élément est indissociable du tout, alors il n’y aurait pas de famille.
De la découverte à la révélation
Je suis arrivé au Mei Hua Zhuang pour deux raisons : je cherchais une pratique martiale et j’avais déjà une culture liée à la médecine chinoise. Le lien aux 5 Wuxing (métal, eau, bois, feu, terre), l’enchaînement dans le sens du cycle d’engendrement et le lien aux 8 directions du Yiking m’ont tout de suite intéressés. Puis, la rondeur et l’amplitude des mouvements ont fini de me convaincre que c’était une bonne voie pour moi et je n’ai pas été déçu.
Je me suis très vite senti très bien après quand même une première année fastidieuse. En effet, découvrir les postures et les mouvements n’est pas toujours simple, mais la persévérance et la patience ont du bon. Elles sont le garant de la construction d’une base solide, et cela je le comprendrai plus tard. Deux ans après avoir commencé, j’ai eu le joie de faire mon premier stage d’été et je ne ne peux qu’inviter les adhérents à y participer au moins une fois, tant cela constitue une semaine d’une grande intensité et richesse dans la pratique et dans les échanges. Ce fameux stage était organisé en Suisse pour lequel étaient venus des maîtres et paysans chinois. Un stage qui m’a ouvert beaucoup de portes. Tout ensuite a semblé comme couler de source. Une capacité à intégrer assez rapidement les mouvements et les enchaînements, une amplitude de plus en plus grande dans mon corps et des compréhensions toujours plus profondes. C’est ainsi que j’ai intégré beaucoup de choses (épée, bâton, sabre, hallebarde, 5 pas, grand style, pieds et poings, main nu, etc.). Au sein de l’ASL où je pratique, nous réussissions à garder en mémoire et donc à pratiquer tout ce que l’on voyait dans les stages avec Yan Yan et Junmin Ren.
Ce tableau peut sembler idyllique mais il a fini par me donner le vertige. Je ne savais plus où donner de la tête. J’avais perdu le sens du Mei Hua Zhuang dans cette inondation d’enchaînements et j’en ai perdu le plaisir de pratiquer toutes les formes en dehors du Jiazi qui m’a toujours nourri.
Cette perte d’envie liée à la perte de sens m’a amené à m’éloigner de la transmission dans le cadre de mon ASL car je ne voyais pas l’intérêt de ce que nous faisions. J’étais vide, et je ne voulais pas transmettre ce vide. Cet éloignement m’a amené à couper avec le Mei Hua Zhuang et ce pendant presque deux ans. Je pensais pratiquer seul mais jamais l’envie n’a été là.
Me revoilà aujourd’hui à partager le Mei Hua Zhuang au sein de l’AE et de l’ASL de Sélestat et très content de pratiquer à nouveau. Je ne regrette pas non plus ces deux ans « d’exil » car ils m’ont permis de prendre du recul. Les deux raisons qui m’ont fait revenir sont le besoin de pratiquer en groupe et le fait que je ne connaissais plus intellectuellement les enchaînements voire même les changements de direction. Ainsi débarrassé de ce qui m’avait donné le vertige, je pouvais revenir pratiquer sereinement. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, je reviens enrichi.
Le corps libéré du mental
La première chose que je souhaite partager concerne notre relation au corps. Comme je l’ai dit précédemment, je ne me souvenais plus de la quasi totalité des formes dynamiques, et notamment les changements de direction. Il me restait le Jia Zi et ce n’est pas rien. Quelle sensation de sentir combien les différentes postures, pourtant statiques, nous dynamisent de l’intérieur (Qi, sang, coeur).
Pour les changements de direction, autant vous dire que j’appréhendais le premier cercle. Et vous savez quoi ? Ma tête ne connaissait peut-être plus les changements de direction, mais mon corps, lui s’est mis en mouvement tout seul. Et c’est jubilatoire d’être spectateur de son propre savoir corporel, instinctif.
Cette sensation que j’ai rencontrée pour toutes les formes que je connaissais avant mon « exil » (après 1 à 2 fois où il a quand même fallu suivre à nouveau pour réactiver le corps car certaines formes étaient bien enfouies) est magnifique à vivre : être libre et détaché de la forme tout en s’inscrivant dedans.
Au-delà de la forme
Un des aspects qui m’avait amené à m’éloigner pendant ces deux années étaient le rapport qu’on entretenait avec la forme. Ma grande facilité à apprendre de nouvelles formes a contribué à ce que je m’ennuie au bout d’un certain temps et la question du pourquoi faire telle ou telle forme a grandi dans mon esprit jusqu’à prendre toute la place. J’en étais arrivé à l’idée que toutes les formes apprises n’avaient aucun sens et que seul comptait le Jia Zi et le Pa Koua.
Parfois, même souvent, la connaissance de telle et telle forme sert de base à la constitution de groupes de niveaux. Mais, est ce que la forme suffit ?
Faisant partie des encadrants au sein de mon ASL, je me suis interrogé sur la notion de niveau car il y a des niveaux de pratiques. Mais ceux-ci ne peuvent pas se mesurer qu’au nombre de choses que l’on sait faire. Les niveaux de pratique sont une chose plus profonde liée à :
- la coordination du corps,
- la circulation du Qi,
- la capacité et le besoin de donner du sens aux mouvements du corps et à l’attention que l’on porte sur les choses de la vie,
- l’écoute de soi,
- l’écoute des autres,
- la capacité au lâcher prise et à se déplacer librement,
- être tel que le coeur et le corps nous le disent,
- intégrer le Mei Hua Zhuang comme une voie d’éveil dans laquelle nous pouvons comprendre autrement la relation à soi, aux autres et à son environnement.
Le Mei Hua Zhuang est une voie pour atteindre tout cela par l’expérience qui se réalise dans la matière, dans le corps et la rencontre d’autres êtres.
Cependant, et je l’ai compris récemment, pour permettre au corps de s’exprimer tel qu’il le souhaite, il est important de lui donner la possibilité de le faire. C’est pourquoi, il est essentiel de sans cesse découvrir et approfondir de nouvelles choses. Pas pour se glorifier de les maîtriser, mais bien pour nourrir le bagage, le potentiel de mouvement dans lequel notre corps peut puiser pour exprimer toute sa beauté et sa puissance.
Adaptation, non agir et liberté
La répétition des mouvements est certes essentielle pour atteindre une meilleure coordination et libérer son esprit, mais attention à ce que le mental ne se repose pas sur ses lauriers. Il faut de temps en temps le pousser dans ses retranchements, l’emmener au-delà de ce qu’il sait faire afin de nourrir la capacité d’adaptation. Un organisme vivant rencontrant toujours les mêmes conditions se spécialise, renforçant les caractéristiques devant lui permettre de survivre et mettant de côté, jusqu’à l’oubli, les autres. Cet organisme est certes adapté à son environnement mais si les conditions changent, et changent vite, il sera dans l’incapacité d’agir, de réagir. Pouvoir s’adapter, c’est être toujours en mouvement autant dans son corps que dans son esprit.
C’est pourquoi il est sain d’aller dans des zones non connus pour éviter à l’esprit de se gargariser de ce qu’il sait faire. Cette aptitude du mental à se suffire à lui-même en nous faisant croire que c’est dans ce minimalisme que tout réside est le danger de l’immobilisme, piège dans lequel je suis tombé quand je ne trouvais pas le sens à toujours plus de forme. Aujourd’hui je sais et je peux l’affirmer : selon moi, le Mei Hua Zhuang, c’est l’art du mouvement. Sans mouvement, il n’y a pas de vie.
Cette notion de mouvement que l’on retrouve dans le Bouddhisme avec l’impermanence des choses ou encore avec le Taiji est une notion essentielle à intégrer dans la vie de tous les jours.
Se mettre en mouvement, c’est l’art de vivre l’instant présent et d’avancer là où nous sommes appelés et non vers où notre raison veut nous emmener. Qui réalise quelque chose avec envie si cela ne vient pas du coeur, de l’instant ? Pour qu’il y ait de la vie, il faut de l’en « vie ». Et l’envie ne se pense pas, ne se raisonne pas. Autrement dit, l’art du mouvement, c’est l’art du non agir. Ce n’est qu’en étant dans l’instant présent, qu’en étant présent à soi, que l’on peut bouger, agir, vivre.
Dans la pratique, cette notion doit être présente à chaque instant. Quand je suis en posture « métal », je suis présent à moi et non au changement que je vais faire pour passer à la posture suivante. Quand je pense à l’après, mon esprit n’est pas présent à ce qui se passe autour de lui. On trouve ici une illustration de cette attention à avoir pendant la pratique. Cette attention, cet art du non agir, est la clé de la connexion au monde et donc du développement de la capacité d’adaptation. Une capacité essentielle quand on commence à pratiquer le face à face ou encore la boxe. Savoir bouger en lien direct avec ce que l’autre fait ou pas, en lien avec le Qi de l’autre.
Pour ne pas être coincé par notre mental, je pense par conséquent qu’il peut être intéressant de jouer avec les formes. Tout d’abord j’apprends une forme, ensuite je pratique la forme en y apportant une attention de chaque instant et en y apportant du lien au Qi et du sens au mouvement, enfin je cesse de pratiquer cette forme pour y revenir plus tard, une nouvelle découverte pour une toute autre liberté. C’est une voie que j’ai vécue et qui mérite d’être explorée. En procédant ainsi, je libère aussi mon esprit du simple fait de savoir. Aujourd’hui, je n’ai pas la retenue de dire, je ne sais pas. Et je redécouvre avec un plaisir sans fin certaines formes et apports théoriques aux côtés de Yan Yan et Junmin Ren.
L’amour et le jeu jusque dans le combat
La notion de combat, qui commence par l’intention de faire bouger l’autre, est très délicate et peut amener à mon sens à un non sens. Je m’explique. Quand j’ai commencé à jouer de la sorte dans des face à face (je préfère d’ailleurs parler de pratique à deux), j’ai tout d’abord et naturellement considéré l’autre non comme un adversaire mais comme un partenaire, une entité vivante avec laquelle je suis en connexion permanente par l’énergie de vie qui nous traverse et constitue. Le fait de pratiquer ainsi alimente et facilite la circulation du Qi entre les deux partenaires. Cependant, la pratique est différente avec certains avec qui l’on perçoit la volonté de faire reculer, de faire plier l’autre sous le poids des attaques afin de prendre le dessus sur lui. Pratiquer dans cette direction crée un vide en moi, un mal être que je ne souhaite plus ressentir.
Je vois deux raisons à cela :
- La première vient du vouloir agir qui crée un blocage de l’esprit et donc de l’énergie. Vouloir agir est l’inverse et va à l’encontre du non agir et du libre mouvement.
- La deuxième vient du fait qu’en intégrant l’autre comme adversaire, je me suis coupé de l’énergie de vie qui nous relie.
Il y a peut-être dans cette expérience une illustration qui expliquerait pourquoi il n’y a pas de compétition en Mei Hua Zhuang. Tous les pratiquants appartiennent au même organisme et sont faits de la même énergie de vie. Vouloir lutter contre l’autre, c’est lutter contre soi.
Je considère donc par là que le Mei Hua Zhuang est une voie de l’unité, le un dans lequel nous vivons tous et pour lequel nous agissons individuellement et collectivement. Ainsi, la pratique du Mei Hua Zhuang est pour moi une voie de l’amour et du jeu, deux aspects que connaissent très bien les enfants.
Et si, la pratique du Mei Hua Zhuang devait nous emmener à retrouver la manière dont nous vivions les choses quand nous étions enfant à savoir jouer, aimer et agir librement dans l’instant présent ?
J’aime et je remercie chaque instant, chaque participant et ce que nous sommes en train de partager. Et dans cet état d’esprit et de coeur, je sens le Qi, je sens la vie circuler et s’intensifier en moi et autour de moi.
Je remercie chaque jour la vie de m’avoir permis de rencontrer sur mon chemin le Mei Hua Zhuang, Daniel Sattler et Véronique Dorgler, les encadrants de l’ASL de Sélestat, Yan Yan et Junmin Ren bien sûr que je redécouvre aujourd’hui avec beaucoup de plaisir et aussi tous les pratiquants que j’ai pu rencontrer au gré de diverses rencontres.